Déclaration de VJI sur l’antisémitisme

Novembre 2016

Voix Juives Indépendantes (VJI) définit l’antisémitisme comme l’hostilité, le préjugé ou la discrimination à l’encontre des juifs. Nous reconnaissons le fléau historique que représente l’antisémitisme, particulièrement dans l’Europe chrétienne, et son apogée lors de l’Holocauste. Comme beaucoup d’autres Juifs, nombres d’entre nous ont perdu des membres de leur famille dans ce génocide.

Il est crucial de reconnaître que l’antisémitisme ne nous affecte pas tous de la même manière. Les Juifs Ashkenazi, tout comme les Juifs de couleur, Sépharades et Mizrahi, ont été victimes de discrimination, de sectarisme et de violence dans divers pays du globe ; toutefois leurs expériences diffèrent considérablement.

Pour VJI, brandir l’antisémitisme pour faire barrage à toute critique du gouvernement israélien est une attitude dangereuse, qui fragilise et discrédite la bataille contre l’antisémitisme. S’opposer aux politiques d’oppression israéliennes n’est en aucun cas être antisémite, pas plus que soutenir des mesures de solidarité avec le peuple palestinien telles que l’appel au boycott, désinvestissement et sanctions. Malheureusement, bien que l’ensemble du mouvement de solidarité avec la Palestine rejette vigoureusement l’antisémitisme, des incidents antisémites ont bien eu lieu. VJI est resté vigilant afin de condamner ses actes antisémites et les personnes qui les ont commis. En revanche, les défenseurs d’Israël confondent systématiquement l’opposition aux actions d’Israël et l’antisémitisme, allant même jusqu’à soutenir des antisémites si ces derniers sont du côté d’Israël, comme cela fut le cas lors de la campagne de Donald Trump.

Il faut distinguer préjugés et oppression. Des préjugés individuels subsistent au Canada jusqu’à aujourd’hui. Mais les Juifs ne sont pas un peuple opprimé, ni ici ni dans aucun pays occidental. Bien au contraire, la discrimination, les déclarations ou les actes antisémites sont proscrits par la loi et ceux qui les commettent sont officiellement censurés. Les Juifs canadiens ne sont plus victimes de la discrimination systémique ou de barrières sociales, comme le sont en revanche les peuples indigènes, les personnes de couleur, les musulmans et d’autres minorités. Les Juifs ne sont pas limités, au contraire ils peuvent s’épanouir dans les arts, la politique, le monde académique, le commerce et dans bien d’autres domaines. VJI rejette toute forme d’oppression: l’objectif du “Plus Jamais” ne nous suffit pas, il nous faut atteindre l’objectif du “Plus Jamais – pour Personne.”

L’Antisémitisme en contexte. L’antisémitisme émerge dans des conditions historiques et politiques particulières et sa nature varie selon ces conditions. Par le passé, le fait de considérer que les Juifs formaient un peuple à part et qu’ils nécessitaient de ce fait leur propre pays était considéré comme antisémite. Aujourd’hui, c’est tout le contraire: prétendre que le peuple juif n’est pas un peuple à part est vu comme antisémite par la majorité des sionistes.

Au Canada, l’antisémitisme moderne n’est pas le même que celui qui sévissait en Europe de l’Est. Pendant des siècles, les Juifs ont été victimes de discrimination pour leurs croyances religieuses, puis ils furent opprimés sur la base de l’idée raciste qu’ils étaient génétiquement inférieurs. L’Holocauste en a été le point culminant.

Au contraire, dans les pays musulmans, historiquement les Juifs étaient traités avec un certain respect (en tant que “dhimmis”) et furent même accueillis lors des vagues d’oppression chrétiennes. Toutefois, depuis 1948, l’occupation violente de la Palestine par Israël et sa prétention à agir au nom de tous les Juifs a suscité une antipathie croissante à leur égard. Mais ce sentiment n’est pas lié à l’antisémitisme européen historique.

En Europe centrale et occidentale, particulièrement en France, certains jeunes arabes  marginalisés, qui s’identifient fortement avec la lutte du peuple palestinien, déchargent leur frustration contre les Juifs et les institutions juives. Le chercheur Jonathan Judaken,  spécialiste de l’antisémitisme mondialement connu, explique ainsi que “ce qui se passe en Palestine devient un filtre symbolique à travers lequel l’expérience concrète des musulmans en Europe et ailleurs trouve un sens et s’intériorise. L’Intifada palestinienne est devenue le symbole mondial de la lutte contre toutes les chaînes de l’oppression.” Bien entendu cela n’excuse ni la haine ni la violence, mais conteste l’idée selon laquelle l’antisémitisme est intrinsèque aux musulmans. Ce type d’antisémitisme résulte plutôt de conditions historiques, sociales et politiques particulières. Confondre le fait d’être Juif et le soutien aux politiques d’Israël alimente d’autant plus cette forme d’antisémitisme.

La longue histoire de l’opposition des Juifs au Sionisme politique.

Comme de nombreux autres Juifs, nous mettons en doute la morale d’un État dans lequel un groupe ethnique/national utilise massivement sa puissance politique, économique, territoriale et militaire pour opprimer un autre groupe ethnique/national. Quand le Sionisme a émergé au 19è siècle, la majorité des Juifs était opposée au projet politique d’établissement d’un État juif, en Palestine ou ailleurs. Avant l’Holocauste, des mouvements juifs tels que le Bund, le Judaïsme réformé, Agudat Yisrael et d’autres se sont opposés au projet colonial palestinien. Des intellectuels juifs respectés tels que Hannah Arendt, Martin Buber, Albert Einstein ou Judah Magnes, et des organisations comme Brith Shalom et Ihud considéraient que le fait de déposséder les palestiniens de leur terre était un acte moralement répréhensible. Si cela devait arriver, cela provoquerait le début d’un cycle de violence sans fin.   

Après la Seconde Guerre Mondiale, l’opposition à l’établissement d’un État juif en Palestine a continué aux États-Unis. Le Conseil Américain pour le Judaïsme et de nombreuses organisations progressives se sont opposées à l’appel pour un État à domination juive, se prononçant contre la domination politique et militaire des Palestiniens. Après la guerre de juin 1967, des historiens, des philosophes et des chercheurs en sciences sociales israéliens ont commencé à défendre l’idée que la diaspora était nécessaire à la survie du peuple juif, et ont dénoncé la dépossession violente des Palestiniens depuis 1948. S’appuyant sur des précepts de tradition juive, d’autres intellectuels ont soulevé des questions très perturbantes sur les transgressions morales d’Israël.

L’antisémitisme comme écran de fumée.

La stratégie qui consiste à traiter d’antisémites tous ceux qui remettent en question les politiques et les actions d’Israël inverse la réalité: l’État d’Israël, superpuissance militaire répressive, devient la victime. Cet écran de fumée met en péril la possibilité d’une paix juste en Israël/Palestine. Les défenseurs d’Israël utilisent également cet artifice pour attaquer de nombreux sites et promoteurs d’une résistance progressiste, comme la Conférence Internationale contre le Racisme, Black Lives Matter, le Parti Vert du Canada, le leader du Parti Travailliste britannique Jeremy Corbyn ou encore le Forum Social Mondial de 2016. VJI encourage la pensée critique et le débat sur la situation en Israël et Palestine, alors que l’exploitation abusive du terme antisémitisme vise à réduire au silence les préoccupations légitimes quant au respect des droits humains.

Critiquer les politiques d’Israël et le Sionisme politique n’est pas antisémite.

Les Juifs et tous ceux qui veulent défendre les droits humains doivent rejeter les accusations fallacieuses d’antisémitisme et condamner les vraies attaques contre le peuple juif. En dépit de leurs efforts acharnés, les défenseurs d’Israël ne peuvent camoufler les injustices constantes infligées au peuple palestinien, ni mettre fin au mouvement mondial de lutte pour les droits des Palestiniens.

VJI vous encourage à lire notre rapport sur l’antisémitisme:  Antisemitism in context: its use and abuse.